Décennie 1964 - 1973
Comment est née l'AGEVP et son évolution ? (1ère partie)
Nguyễn Gia Kiểng
L’Association Générale des étudiants Vietnamiens de Paris fête ses soixante années d’existence, et confirme son statut d’organisation vietnamienne à l’étranger des plus anciennes. Elle fait partie du petit nombre d’organisations vietnamiennes dans le monde qui a une longévité des plus remarquables. C’est ainsi le moment d’évoquer comment elle s’est créée et a évolué vers sa maturité pour le partager avec les plus jeunes générations.
Tout d’abord quelques mots à propos de l’appellation familière « Tổng Hội Sinh Viên » (Association Générale des Etudiants) ou plus simplement « Tổng Hội » (Association Générale). Le nom officiel est Association Générale des Etudiants Vietnamiens de Paris, mais dès le début cette appellation a été remplacée courrament par « Tổng Hội Sinh Viên » ou « Tổng Hội » mais ceci n’a pas été seulement motivé par un besoin de simplification pratique.
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Une explication plus importante est le conflit interne au Vietnam de l’époque qui a divisé les étudiants vietnamiens en France, les « nationalistes » et les « communistes ». Après une brève période où des tentatives de création d’une association commune – au sein de laquelle chacune des factions se battait pour prendre le leadership – la solution naturelle a été la séparation en deux entités différentes. Les étudiants communistes ou pro-communistes ont fondé Liên Hiệp Sinh Viên Việt Nam tại Pháp (Union des Etudiants Vietnamiens en France), et les nationalistes ont créé l’Association Générale des Etudiants Vietnamiens de Paris. Pour les vietnamiens de France d’alors, Tổng Hội c’était les nationalistes et Liên Hiệp les communistes.
Mais comment l’Association Générale des Etudiants Vietnamiens de Paris, que je désignerais désormais par Tổng Hội ou AGEVP a-t-elle vu le jour ?
Quand je suis arrivé à Paris au mois de novembre 1961, une « Association des Etudiants Vietnamiens en France » existait déjà. Créée un an auparavant, elle regroupait principalement des étudiants issus des familles proches du régime du président Ngô Đình Diệm. En arrivant à Paris, n’ayant pas de proches en France, je m’étais lié d’amitié avec le secrétaire général de cette association qui était Tôn Thất Anh. Cette personne était le seul membre véritablement actif de cette association. Il est venu à l’Institut franco-vietnamien à la rencontre des étudiants vietnamiens comme moi, et m’a aidé dans mes premiers jours où j’étais un peu désorienté.
Auparavant, il y avait eu très peu d’étudiants vietnamiens en France, ils n’étaient qu’une dizaine chaque année à venir en France et la plupart venait de familles de notables vietnamiens. En 1960, ce contingent a crû sensiblement à 50 personnes pour atteindre pratiquement une centaine parmi lesquels une vingtaine d’étudiants boursiers. Après le nombre d’étudiants vietnamiens arrivant en France a très nettement augmenté pour atteindre plusieurs centaines chaque année. L’Association des Etudiants Vietnamiens en France n’a pas pu s’adapter à ce nouveau contexte. Au début de l’année 1963, quand le régime de Ngô Đình Diệm a été fortement contesté et commençait à vaciller, l’association a été totalement absente et a sombré dans l’oubli.
Après la chute du régime de Ngô Đình Diệm suite au coup d’état du 1er novembre 1963, une initiative pour la création d’une « Association des Etudiants Vietnamiens en France » a été entreprise. A ce moment la population estudiantine vietnamienne s’élevait à un millier de personnes avec une majorité à Paris.
Cette initiative pour la création d’une association a déclenché immédiatement des confrontations entre deux factions pour le rôle de leader, les communistes et le groupe « Tự Lập » (les Indépendants). Il est probable qu’aujourd’hui plus personne au sein de l’Association Générale des Etudiants Vietnamiens de Paris ne connaît ce groupe. Et pourtant, c’est lui qui a été à l’origine de l’association.
Le groupe des Indépendants était constitué d’étudiants arrivés en France avant 1961 pour la plupart, certains étant déjà diplômés. Il se rassemblaient autour de Lê Văn Hùng, un docteur en médecine mais qui cumulait de nombreux diplômes dans d’autres disciplines. Etant assez fortuné, M. Hùng a aidé le groupe à établir son siège dans un local bien équipé dans le quartier Latin et a même ouvert un restaurant – Chiêu Hiền – pour financer le groupe. J’ai pu rencontrer le Dr Hùng à plusieurs reprises et discuter longuement avec lui. C’est un homme gentil et bienveillant, honnête, intelligent, très cultivé et animé d’un patriotisme rare. Il était opposé au communisme et au parti communiste mais accordait peu de crédit au régime de Ngô Đình Diệm.
Sa position « à la fois anti-communiste et neutre » rendait douteux son groupe et lui-même auprès des nationalistes. Les deux étaient attaqués férocement par le camp communiste qui les considérait comme le principal adversaire du moment. En se rendant dans les restaurants universitaires en fin de semaine, il n’était pas rare de voir les étudiants communistes distribuer des tracts exhortant le soutien à leur camp, dénigrant le gouvernement de la République du Vietnam et attaquant avec virulence le groupe des Indépendants ainsi que le docteur Lê Văn Hùng.
Grâce à l’engagement et l’activisme des Indépendants, un « comité pour promouvoir la création de l’association des vietnamiens en France » avait été formé. Ce comité avait organisé de nombreuses réunions pour débattre de la création de l’association projetée. Ces réunions étaient vite devenues des joutes oratoires entre le groupe des Indépendants et le groupe communiste, avec dans l’assistance des étudiants qui étaient opposés aux deux groupes. Malgré cela, le groupe des Indépendants était celui qui avait été le moins attaqué. Les étudiants vietnamiens fraîchement arrivés, malgré leur défiance non exprimée envers la position neutre du groupe des Indépendants les avaient quand même soutenus parce qu’ils n’étaient pas organisés et que le groupe des Indépendants était contre le communisme.
Après plusieurs réunions débats acharnées, grâce à la détermination du groupe des Indépendants, l’appellation « Association Générale des Etudiants Vietnamiens de Paris » avait été décidée à l’issue d’un vote, et les membres d’un comité temporaire de l’Association Générale des Etudiants Vietnamiens de Paris avaient été élus. Les étudiants vietnamiens communistes s’étaient alors retirés et avaient immédiatement créé leur propre association, l’Union des étudiants vietnamiens en France. Malgré leur retrait, ils ont empêché les réunions de travail du comité temporaire. Ils ne venaient pas en nombre, une dizaine environ mais ils bloquaient l’accès des étudiants aux salles de réunion. Nombreux étaient les étudiants venus participer aux réunions du comité, mais non organisés, ils avaient subi cet état de fait. C’est ainsi que les réunions du comité temporaire n’avaient pas pu se tenir. Jusqu’à l’occurrence d’un imprévu.
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A ce moment, les efforts pour la création de l’AGEVP apparaissaient comme une confrontation entre le groupe des Indépendants et la faction communiste mais en réalité, un autre groupe d’étudiants très solidaires et partageant une conviction commune observait sans interagir cet affrontement. Ce groupe était connu comme le « groupe des prépas » car la plupart de ses membres étaient des étudiants des classes préparatoires aux Grandes Ecoles. Je faisais partie de ce groupe. Nos actions principales au début, consistaient à organiser des rassemblements estudiantins en fin d’année et au début des vacances d’été. Nous avions réussi à réunir des centaines de personnes et nous étions connus comme étant le groupe d’étudiants le plus nombreux. Mieux encore, nous avons gagné de plus en plus la sympathie des étudiants.
Nous débattions entre nous des problèmes politiques, mais toujours dans un esprit amical et un patriotisme sincère. Quelques-uns d’entre nous se relayaient pour suivre les réunions du comité temporaire et en informaient le groupe en retour. La première fois où nous étions intervenus était le jour où nous avions décidé d’assister en nombre à une réunion du comité temporaire pour les soutenir car nous trouvions trop injuste le blocus pratiqué par la faction communiste pour empêcher l’accès aux salles de réunion. Réalisant que nous étions assez nombreux, décidés et soutenus par la plupart des personnes de l’assistance, le groupe communiste avait abandonné les lieux. Depuis lors, le comité temporaire a pu fonctionner normalement, organiser de nombreuses conférences débats à propos de la situation du pays et aboutir à la décision d’organiser une assemblée générale pour élire le premier bureau exécutif de l’association au début du mois de novembre 1964.
Malgré cette avancée, l’association avait à faire face à une autre difficulté, car après le retrait du groupe des étudiants pro-communistes, une lutte entre le groupe des indépendants et un groupe d’étudiants bouddhistes opposés à la guerre dénommé Gió Nội (Vent de l’intérieur) avait pris place. Pour préparer l’assemblée générale élisant le tout premier bureau exécutif de l’association, deux listes avaient déposé leur candidature, une concernait le groupe des indépendants et l’autre le groupe des étudiants bouddhistes. Tout le monde craignait que la candidature de deux listes ne pousse le groupe communiste à déposer la sienne avec des chances de l’emporter au cas où les deux listes Indépendants et bouddhistes n’auraient pas été suffisamment soutenues. Les statuts de l’association permettaient en effet à tout étudiant vietnamien de se présenter à cette élection. Dans ce cas, tous les efforts consentis n’auraient servi à rien, sinon à faire le lit de la faction communiste.
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Une proposition acceptée par les deux groupes candidats avait été d’organiser une réunion de conciliation pour aboutir à une liste unique afin d’empêcher le groupe communiste de prendre le contrôle de l’association. Le groupe des prépas avait été sollicité pour arbitrer cette réunion. Cette réunion s’était tenue au siège de l’AGEVP, au 80 rue Monge, Paris 5è avec la participation de plus d’une centaine d’étudiants. Un fait remarquable de cette réunion avait été que le groupe Gió Nội avait été mis en nette minorité et déclaré retirer sa candidature. Tout aussi surprenant fût que la quasi-totalité des participants avaient alors demandé à ce que le groupe des prépas constitue l’unique liste candidate. Bien évidemment nous avions décliné de manière définitive cette proposition car nous étions venus pour un rôle d’arbitre et non pour candidater à la gouvernance de l’association. L’assemblée s’était alors mise d’accord pour organiser la semaine suivante une réunion pour établir une liste non communiste unifiée.
Un imprévu de plus. A l’issue de cette réunion, nous avions pris ensemble la décision de ne pas participer à la réunion de conciliation prévue la semaine suivante, car nous étions sûrs que notre présence nous aurait obligés à former une liste de candidature. La réunion de conciliation a choisi une liste avec Nguyễn Trọng Huân comme président et une majorité de membres du groupe des Indépendants dont Mlle Đặng Thị Tám, M. Từ Khiết, M. Trịnh Văn Thảo. Nous avions su plus tard que Huân avait été choisi comme président parce que le groupe des Indépendants pensait qu’il faisait partie du groupe des prépas et qu’il représentait ce groupe lors de la réunion (il résidait, en effet à la Maison de l’Indochine, comme de nombreuses personnes du groupe des indépendants).
L’assemblée générale de l’AGEVP s’est tenue comme prévu et le bureau exécutif présidé par Huân a été élu à la majorité absolue, car une liste unique avait été déposée. Sa première action a été l’organisation très réussie de la soirée du Têt de l’AGEVP au Palais de la Mutualité, spectacle qui rassemblé près de 3000 spectateurs. Pour la toute première fois, « La marche des étudiants à l’étranger » a été chantée par un chœur au cours de cette soirée du Têt.
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Les difficultés de l’AGEVP n’étaient pas pour autant terminées car le président Huân avait démissionné et quitté l’association après la soirée du Têt. La raison de son départ était que le bureau exécutif dont la majorité était issue du groupe des indépendants, s’était rendue compte qu’il ne faisait pas partie du groupe des prépas et de ce fait, ne le respectait plus. L’AGEVP a connu dès lors une situation difficile, car elle apparaissait comme une émanation du groupe des indépendants considéré pat l’opinion comme une troisième force. On doit dire que cette accusation est injuste. Le groupe des indépendants était vraiment anti-communiste. Le problème est qu’ils ne soutenaient pas le régime de la République du Vietnam qu’ils jugeaient incompétent et corrompu. Les indépendants étaient des patriotes honnêtes. Le problème c’est qu’ils ne faisaient pas la différence entre le régime et son gouvernement ou ceux qui gouvernent et qu’ils ne proposaient pas non plus une ligne politique claire.
C’est ainsi que le premier bureau exécutif de l’AGEVP s’était retrouvé dans une impasse et de nouveau, ils nous avaient demandé de l’aide. Bien que n’occupant pas de poste officiel, les membres du groupe des prépas étaient alors devenus des piliers de l’association après la démission et le départ de l’AGEVP de Nguyễn Trọng Huân. Nous avions décidé de prendre en main l’AGEVP, car c’était la seule solution pour éviter que le milieu des étudiants vietnamiens en France qui étaient alors de plusieurs milliers ne devienne chaotique et désorienté. Le groupe des Indépendants nous avait alors soutenu.
En novembre 1965, la liste présentée par le groupe des prépas avait été élue avec 90% des suffrages. Le groupe des Indépendants avait présenté une liste pour la forme, pour que l’élection ne concerne pas qu’une seule liste. Quelques minutes avant le scrutin, ils s’étaient retirés en appelant à voter pour notre liste. Malgré son appellation « liste des prépas », aucun de ses membres n’était réellement en classes préparatoires. La liste comprenait 12 personnes parmi lesquels 9 étaient des anciens élèves des classes préparatoires car ils avaient déjà intégré des grandes écoles et 3 étaient étudiants de l’université de Paris. Parmi ces derniers Võ Văn Thành qui occupa le poste de secrétaire général, mademoiselle Phạm Thiều Tú issue du groupe des indépendants et petite sœur du musicien Phạm Trọng Cầu, dans le rôle de responsable de la communication. Le groupe des indépendants avait ensuite coopéré très activement avec l’AGEVP.
Très solide depuis lors, l’AGEVP a poursuivi son essor sans de nouvelle crise interne alors que le Vietnam sombrait dans une guerre civile violente. Chaque année l’AGEVP avait organisé avec succès le spectacle du Têt, le camp d’été, les Journées Sportives des Vietnamiens d’Europe ainsi que des conférences-débats sur la situation du Vietnam. Les soirées artistiques du Têt étaient sous la direction de Phạm Trọng Cầu depuis 1969. Quand Cầu est rentré au Vietnam, le père Ngô Duy Linh l’a remplacé.
En résumé, il faut affirmer que c’était le groupe des Indépendants qui a été pour beaucoup dans la création de l’AGEVP. Le groupe des prépas l’avait aidé à vivre et grandir dans une période trouble du Vietnam. L’AGEVP a été suffisamment solide pour perdurer après l’effondrement du régime de la République du Vietnam et fait partie aujourd’hui des organisations vietnamiennes de l’étranger les plus anciennes. >>> [2ème Partie]
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