Décennie 2014 - 2023
Pourquoi la jeune génération continue l'aventure Tổng Hội
L’AGEVP (Association Générale des Etudiants Vietnamiens de Paris) a connu un changement de taille ces dernières années : la direction de l’association est désormais composée exclusivement de bénévoles nés en France. Portrait d’une relève, qui malgré certains doutes et le poids des responsabilités, se donne à fond pour « TH ».
Tous les Tết, un petit miracle se produit. Dans les coulisses ou sur scène, des dizaines de bénévoles se mobilisent pour organiser le temps fort de l’AGEVP, le festival du nouvel an vietnamien. Son spectacle et sa foire attirent près d’un millier de visiteurs chaque année. Le reste du temps, par ses cours de vietnamien et de cuisine, sa section artistique, son pôle culture Fils rouges et ses activités sportives, le Tổng Hội (ou ‘TH’ comme disent les intimes) fait battre le cœur de la communauté vietnamienne de Paris et de sa banlieue.
Tout cela ne serait pas possible sans l’engagement d’une nouvelle génération de membres du bureau de l’association, née en France dans les années 1990 ou 2000. Elle assure sans ménager ses efforts le quotidien du fonctionnement de Tổng Hội. Nhân Bản Xuân (NBX) est allé à la rencontre de ces « jeunes » pour comprendre ce qui les pousse à continuer l’aventure « TH ».
La grande famille du Tong Hoi
« Je voulais rendre à TH tout ce qu’il m’a donné« . Avec une émotion certaine, Nam Anh, le président du bureau actuel de l’AGEVP nous explique pourquoi il a accepté de prendre la tête de l’association. « J’ai trouvé dans TH, une grande famille dont je ne voulais plus partir« . Cette famille, c’est au sein de la section artistique qu’il la rencontre. Après une première participation au spectacle durant son enfance, Nam Anh revient de nouveau danser pour l’AGEVP à l’âge de 20 ans. Il en tombe aussitôt « amoureux ». « Quand je suis revenu j’ai tout suite adoré. J’ai rencontré des personnes qui me ressemblent, culturellement et de caractère, avec qui je m’amuse beaucoup« , se souvient-il.
La grande force de l’AGEVP est en effet le lien « hyperfamilial » que l’association tisse entre ses membres, confirme Laura, trésorière de l’association. Il se construit en particulier durant cette formidable aventure renouvelée chaque année qu’est la préparation du spectacle du Tết, un show musical et de danses chorégraphiées avec minutie.
« On est fier de faire ce spectacle. Il nous permet aussi de nous intéresser à de nouveaux horizons« , résume Clara-Liên, co-responsable de la section culturelle Fils Rouges qui danse aussi lors du Tết. « Moi et ma sœur Y Lan on est des musiciens de base. Avec la section artistique on a appris à danser et chanter sur des chorégraphies traditionnelles et modernes, c’est très stylé« , donne en exemple Dan, vice président de l’association. Se produire devant « un vrai public » est « très gratifiant », ajoute Dan qui se prend à rêver d’une tournée internationale du spectacle de Tổng Hội.
« Alors quand Tino, le précédent président, nous [la section artistique] a demandé de prendre la relève à la fin de son mandat sans quoi l’association cesserait d’exister, on a tous pleuré. On ne voulait pas que ce quotidien disparaisse et on souhaitait que l’aventure dure encore longtemps« , se remémore, toujours ému, Nam Anh.
Le lien avec la culture vietnamienne
Valeur défendue dans la devise de l’association, la transmission de la culture vietnamienne est la deuxième raison d’être de Tổng Hội. Pour Ngọc Phi, co-responsable de la section culturelle Fils Rouges, prendre des cours de vietnamien à l’AGEVP a été le moyen de garder le lien avec ses racines. Avec sa professeure de vietnamien cô Huyên, Ngọc Phi découvre tout un nouveau monde culturel. « Dans ses cours, cô Huyên nous fait travailler sur l’actualité, sur des histoires du Vietnam, sur la musique… Elle nous a vraiment donné le goût de la culture et l’envie de creuser un peu plus« , raconte-t-elle. Une nouvelle curiosité qui a permis à Ngọc Phi de se rapprocher davantage de ses parents en discutant avec eux de ce qu’elle apprend en cours.
Le respect et le poids du devoir de mémoire
Le troisième pilier de l’AGEVP est la défense de la liberté et le devoir de mémoire. Ce qui distingue Tổng Hội d’autres associations est en effet son engagement pour un Vietnam libre et démocratique. En tant que président, Nam Anh a assisté à de nombreux événements commémoratifs. « Ça te remet la tête sur les épaules et te rend extrêmement humble, TH est plus grand que toi« , confie-t-il. « L’histoire de l’exil de nos parents est encore très récente et si horrible. Cela nous fait réaliser à quel point tu es chanceux de vivre en France et dans un pays libre« , se rend compte Nam Anh.
Au-delà du passé de la guerre, le spectacle du Tết permet d’évoquer l’absence de liberté dans le Vietnam d’aujourd’hui. « Je me suis engagée dans l’association suite à une scène du spectacle, où on dénonçait l’utilisation de la reconnaissance faciale par le gouvernement vietnamien. C’était un message très fort« , raconte Ngọc Phi. « Faire le scénario du spectacle, pendant lequel on aborde les questions politiques, nous amène à réfléchir« , ajoute Dan.
« La motivation principale des membres de TH est d’abord de rencontrer des amis » même s’ils sont conscients de l’importance de l’histoire et des convictions de leurs parents, tempère toutefois Tino, ancien président de l’association.
« Il est aussi compliqué pour les jeunes de l’association de gérer la dimension politique et l’image publique de l’association« , ajoute Tino. « C’est une grande pression sur nous« , explique Nam Anh. Le bureau doit ainsi répondre aux demandes des anciens et des jeunes qui ne sont pas toujours faciles à concilier. « On aimerait aussi traiter de sujets plus actuels abordés par la société française comme l’insertion des jeunes franco-vietnamiens, le racisme anti asiatique, s’exprimer dans des médias sur Instagram » qui ont beaucoup de succès auprès de la communauté franco-asiatique, pointe le président de TH. Des questions jusqu’à maintenant non abordées par l’association.
Nhân Bản Xuân a pu constater l’absence de notre communauté sur certains sujets mis en avant par la société française, lors de la 1ère exposition consacrée en France aux immigrés asiatiques au Musée de l’immigration en octobre dernier. L’AGEVP y était malheureusement absente et n’avait pas été sollicitée pour sa conception. En outre, le quart de l’exposition était consacré aux initiatives des Chinois, Cambodgiens sur la question du racisme et de la représentation des asiatiques en France, problématiques sur lesquelles Tổng Hội ne s’exprime pas.
Le défi de l’appropriation des valeurs de liberté
L’AGEVP et les deuxièmes et troisièmes générations de Vietnamiens en France sont confrontés à ce qu’appellent les sociologues le défi de l’appropriation de leur héritage culturel, historique mais aussi politique. Tổng Hội demeure une de ces rares associations de la communauté franco-vietnamienne où des jeunes d’aujourd’hui ont encore conscience de la tragédie qu’ont vécu les anciens et des problèmes politiques de leur pays d’origine. Cependant, un certain nombre jeunes membres de TH ne se sont pas appropriés entièrement ce passé douloureux et les raisons qui poussent leurs parents à s’engager pour la liberté au Vietnam.
Pour que ces jeunes s’approprient les valeurs de liberté de l’AGEVP, il faudrait qu’elles fassent sens pour eux-mêmes et pas seulement par respect pour leurs parents. Aux Etats-Unis, où la diaspora est confrontée aux mêmes problématiques d’appropriation, des voix s’insurgent désormais contre une vision superficielle de l’identité vietnamienne. « Être vietnamien, ça ne doit pas être juste manger un phở sur Instagram ou défiler en áo dài. Nous devons aussi parler aux anciens et les comprendre. Et également nous poser les vraies questions sur le Vietnam« , écrit une jeune internaute américaine sur le forum Subtle Viet Traits.
La défense de la liberté est notre « petit combat à nous« , abonde Tino. « Ceux qui disent que ça ne sert à rien, je leur réponds qu’on peut dire qu’on n’est pas d’accord et qu’on est simplement là« , rétorque-t-il. « Faire des manifestations, le spectacle – et même simplement le fait qu’on existe – c’est notre manière de lutter. Si l’AGEVP cesse d’exister, la communauté vietnamienne s’affaiblira« .
Par Amiral Ackbar
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