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Nous avons aidé à nettoyer l'ambassade

Lors des événements du 30 avril 1975, certains d’entre nous résidaient au Foyer Lutèce, dont l’appellation vietnamienne est Cư Xá Đất Việt, financé par l’ambassade de la République du Vietnam (RVN) pour offrir un hébergement temporaire aux étudiants vietnamiens venant d’arriver à Paris pour leurs études.

À cette époque, les informations diffusées à la télévision française nous montraient que la chute du Sud était imminente. Presque chaque jour, les résidents se rassemblaient autour de la télévision dans le salon commun.
En plus de se préparer à participer aux manifestations organisées par l’Association Générale des Etudiants Vietnamiens de Paris (AGEVP) pour protester contre la décision du Congrès des États-Unis d’abandonner le Sud-Vietnam ou pour affirmer leur détermination à lutter pour la liberté du Sud (manifestations du 18 puis du 28 Avril 1975), les camarades devaient également continuer leurs études, travailler en parallèle pour subvenir à leurs besoins et se préoccuper de l’avenir du pays ainsi que de leurs familles restées au Vietnam.

Presque chaque jour, nous cherchions à contacter les autorités consulaires de la RVN pour savoir quel serait notre avenir au cas où le Sud viendrait à tomber. Au fond de nous, chacun espérait simplement une évacuation tactique suivie d’un revirement du Congrès américain, qui déciderait de continuer à soutenir le Sud et à repousser les troupes du Nord au-delà du 17ᵉ parallèle. Certains envisageaient aussi de rentrer au Vietnam pour être auprès de leur famille et partager le destin commun du pays, quel qu’il soit, bon ou mauvais.

Ces jours-là, le consulat général ressemblait à un marché en effervescence. Une foule de personnes s’y pressait, chacune avec ses propres angoisses, mais presque personne ne trouvait de réponse ni de solution satisfaisante.
À cette époque, les membres du Bureau Exécutif de l’AGEVP se rendaient aussi régulièrement à l’ambassade. D’après nos souvenirs, Trần Văn Bá y était souvent présent. La situation était encore très confuse, et personne ne savait ce qu’il adviendrait de l’ambassade (et de la résidence Đất Việt).

Puis, un soir, quelques jours après le 30 avril, probablement le vendredi 2 mai, nous, les jeunes de Đất Việt, avions appris que l’ambassade avait besoin d’aide pour brûler certains documents afin d’éviter leur capture par l’autre camp, au cas où la décision serait prise de remettre l’ambassade de la RVN au Nord-Vietnam.

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Nous étions six ou sept à prendre le métro – le moyen de transport le plus rapide pour des jeunes de 18 ou 19 ans – pour rejoindre l’ambassade située sur l’avenue de Villiers, dans le 17ᵉ arrondissement. Nos souvenirs ne sont plus très précis, mais notre destination était probablement le consulat général, sis au 45 avenue de Villiers, tandis que l’ambassade se trouvait au 89 de la même avenue. C’était au consulat que les étudiants et les expatriés vietnamiens venaient généralement pour leurs démarches administratives.

Photo prise en Février 1971 après la dégradation de la façade lors d’une manifestation pro-communiste.

Arrivés sur place, tandis que les aînés discutaient avec les fonctionnaires du consulat général, nous étions conduits au sous-sol, où des dizaines de cartons de dossiers attendaient à côté d’une sorte de grande poêle, qui semblait être le système de chauffage central de la maison.

Nous avions de cesse de sortir les dossiers des cartons et, à tour de rôle, nous les avions jetés dans la poêle pour les incinérer. Par curiosité, nous en avions ouvert quelques-uns et avions découvert qu’une partie non négligeable concernait des étudiants vietnamiens venus étudier en Europe et ayant rallié le camp communiste. Certains avaient fait ce choix parce que leur famille militait déjà clandestinement pour les communistes dans le Sud, tandis que d’autres avaient rejoint ce camp après avoir commis des délits et craignaient d’être expulsés vers le Vietnam s’ils restaient du côté nationaliste.

Nous avions brûlé des dossiers pendant plusieurs heures, mais les employés de l’ambassade continuaient d’en descendre de nouveaux sans interruption. Très tard dans la nuit, un employé était venu nous dire de rentrer et de revenir le lendemain.

Nous étions repartis avec des sentiments mitigés : tristes, car la perpective de perdre le pays devenait plus qu’une évidence, mais aussi légèrement satisfaits d’avoir, à notre manière, apporté une contribution à la nation, aussi insignifiante soit elle.

Un détail amusant, sans doute un peu puéril : en aidant au consulat général, nous avions trouvé des feuilles à en-tête officielle de l’ambassade. Quelqu’un avait alors émis l’idée d’apposer le tampon de l’ambassade sur ces feuilles, pour éventuellement les utiliser plus tard comme lettres de parrainage pour nos proches ou nos fiancées.

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A tour de rôle, chacun s’amusait ainsi à tamponner quelques feuilles. Il est possible que certains d’entre nous conservent encore l’un de ces documents parmi ses archives personnelles. Mais quant à savoir si l’un d’entre nous a réellement pu s’en servir pour faire sortir un proche de cette immense prison qu’est devenu le pays après le 30 avril, la réponse est probablement négative.

Passeport prolongé jusqu’en Décembre 1980 mais bien sûr sans effet avec le nouveau régime communiste

Le lendemain, nous revenions de nouveau ensemble au consulat général. Mais à notre arrivée, l’un des agents nous empêchait d’entrer, expliquant qu’ils avaient reçu l’ordre du gouvernement de tout laisser en l’état en vue de la remise des lieux à l’autre camp.

Nous avions donc dû repartir, et nous n’y étions jamais retournés…

En plus d’avoir détruit des dossiers, nous avions également pu emporter de nombreux documents, livres, revues et films. Nos camarades de la « maison Camus » avaient rempli une voiture entière de livres et documents divers. La « maison Camus », située dans la commune de Bagneux, était en fait un appartement loué par certains aînés de l’AGEVP pour vivre ensemble. Après la perte de son siège situé au 80 rue Monge (Paris 5è), cet appartement avait servi de base temporaire pour l’association.

C’est ainsi qu’un grand nombre de livres y avaient été déposés, dans l’espoir qu’ils pourraient un jour alimenter une bibliothèque de l’AGEVP. Plusieurs bobines de films argentiques avaient également été « évacués » et, à partir de 1979, ils étaient stockés dans une petite pièce au nouveau siège de l’association, celui de la rue Damesme, dans le 13ᵉ arrondissement. Pendant plusieurs années, des films 16 mm comme Chúng tôi muốn sống (Nous voulons vivre) ou Con búp bê nhồi bông (La poupée en peluche) avaient été projetés lors d’événements internes du l’association.

Malheureusement, des années plus tard, à la suite du déménagement du siège de Damesme, du manque d’équipement de projection et du coût trop élevé de la numérisation des films, ces précieuses bobines avaient dû être abandonnées.

Gadget distribué naguère par les services de l’ambassade du Vietnam

En plus des documents, livres et films confiés au THSV, une rumeur circulait parmi les étudiants de l’époque : celle d’un chèque de l’ambassade « offert » à l’Association Générale des Étudiants Vietnamiens.

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Selon Giáp, un témoin direct, voici ce qui s’était réellement passé. Chaque année, l’ambassade soutenait financièrement le THSV pour l’organisation des soirées du Têt et des Jeux Sportifs à l’échelle européenne. Mais en 1975, la subvention n’avait pas encore été versée, probablement parce que les fonds avaient été « empruntés » pour financer l’accueil du président Nguyễn Văn Thiệu venu visiter l’Allemagne en 1974.

Il semble que l’ambassade avait demandé au ministère de la Mobilisation Civile (bộ Dân Vận) à Saigon de rembourser cette somme afin de pouvoir la redistribuer à l’AGEVP, et que le ministère avait donné son accord. Ainsi, l’organisation des Jeux Sportifs Européens à Lille avait reçu une subvention directement du Vietnam. Quant à l’aide aux activités des étudiants vietnamiens en France, Trần Văn Bá demandait à l’ambassade de transmettre les fonds promis rapidement.

Après d’âpres négociations, ce n’était que le vendredi 2 mai, en fin d’après-midi après la fermeture des banques pour la fin de semaine, que le ministre plénipotentiaire Mạc Giao avait remis un chèque de 50 000 francs français (25 000 FF pour l’AGEVP et 25 000 FF pour les associations étudiantes vietnamiennes en Europe). Lors de sa remise en banque le lundi suivant, le chèque était refusé car le compte de l’ambassade avait déjà été bloqué.

Par la suite, plusieurs associations vietnamiennes en Europe avaient interrogé l’AGEVP au sujet de ce fonds. Certains avaient même soupçonné l’AGEVP d’avoir gardé tout l’argent.

Dans les jours qui avaient suivi le nettoyage de l’ambassade, beaucoup d’entre nous s’étaient rendus au bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés afin de demander une carte de réfugié politique. C’est ainsi que nous avions pu poursuivre nos activités de lutte contre le communisme et de soutien à la restoration de la liberté du Sud-Vietnam.

Titre de voyage accordé aux réfugiés vietnamiens. Tous pays visitables sauf Vietnam et Thailande.
D’après les témoignages de Danh, Giáp, Hưng, Lưu C, Nhuận, Thao, Trân et Tuấn C